jeudi 6 août 2015

Les sorcières de Zugarramurdi (2013)


On ne présente plus Àlex de la Iglesia, cinéaste Ibérique continuant à réaliser des longs-métrages aussi déjantés qu'à ses débuts. Après avoir rangé temporairement son sens du burlesque dynamité, avec Un jour de Chance satire sur notre société moderne marquée par cette soif de célébrité immédiate et d'emballement médiatique avec en toile de fond la crise financière.

Àlex de la Iglesia réouvre ici les grandes vannes de la cabriole cinématographique avec ce long-métrage, et délivre aux spectateurs une fable faite d'harpies castratrices. L'écriture des sorcières de Zugarramurdi date de l'époque où le réalisateur était dans un douloureux divorce.

En plein jour au coeur de Madrid, un groupe d'homme déguisé décide de braquer une boutique de rachat d'or à la Puerta Del Sol. Le leader, José - ou Jésus -, père divorcé en plein conflit avec son ex-épouse, son complice Tony sex-symbole malgré lui, Manuel chauffeur de taxi embarqué contre son gré dans cette folle aventure et Sergio, le fils de José, partent en cavale ... Leurs objectif : Atteindre rapidement la France en échappant à la Guarda Civil et à la police, mais arrivé près de la frontière, la petite bande va faire la rencontre de sorcières dans le village millénaire de Zugarramurdi. Ces dernières sont bien décidées à user de leur pouvoirs maléfiques afin de se venger des hommes et à accomplir une prophétie...

Àlex de la Iglesia et son fidèle ami scénariste Jorge Guerricaechevarrìa se sont inspirés d'un autodafé de Logroño de 1610 se déroulant dans le village de Zugarramurdi. L'inquisition accusa quarante habitants de sorcellerie et en condamna douze au bûcher. La plupart des condamnations se basèrent sur des témoignages empreints de superstitions. 

«Les dix-huit personnes restantes furent toutes réconciliées (repenties) - Pour avoir été toute leur vie dans la secte des sorcières -, bonnes confidentes et qu'avec des larmes elles avaient demandé miséricorde et elles voulaient retrouver la foi des Chrétiens. Ayant lu dans ces sentences des choses tellement horribles et effrayantes que personnes n'avait vu : Il y a tant de choses à raconter qu'il faudrait toute une journée, depuis l'aube jusqu'à la nuit. Les messieurs de l'inquisition furent mandatés pour tronquer de nombreux faits car ils ne pouvaient pas finir ce jour-là. Avec toutes ces personnes on usa beaucoup de miséricorde, apportant beaucoup plus de considérations au repentir de ses fautes qu'a la gravité des délits : Au moment où on commença à se confesser, aggravant les punitions à ceux qui le faisaient plus tardivement selon la rébellion que chacun avait tenu dans ses confessions.» Extrait du jugement cité par Carlo Baroja.

À la conclusion de ce procès, des hommes et des femmes furent brûlés vifs et d'autres condamné à l'exil perpétuel avec confiscation de leurs biens. Les inquisiteurs on été jusqu'à brûler en effigie des personnes décédées lors de leur détention en attente de leur jugement.


Le générique d'ouverture s'anime avec de nombreuses gravures moyenâgeuse  nous montrant la représentation de sorcières et différents portraits / photos de femmes d'état contemporaines - Margaret Thatcher, Angela Merkel -, ou de reines - Elizabeth I. Celle-ci ont gouverné et marqué l'Histoire avec un grand H grâce à leurs choix politiques. La question, que le spectateur peut se poser en visionnant cette introduction : Ces femmes de pouvoir sont-elles des harpies à leur manière ?!

La Vénus de Villendorf 
Les habitués d'Àlex de la Iglesia comprendront vite que Les sorcières de Zugarramurdi aborde l'une de ses thématiques prédilections : Les Femmes.

A travers ce récit déjanté, le cinéaste nous livre une critique sur les excès du féminisme. Ici, les hommes se révoltent contre le pouvoir castrateur des femmes symbolisé par cette fameuse bande de sorcières et de "leur déesse mère". La silhouette de cette divinité épouse les formes de la Vénus de Willendorf, une statuette en calcaire datant de la période Paléolithique supérieur conservé au musée d'histoire naturelle de Vienne. A première vue, cet objet représente une femme sans visage obèse et dénudée, celle-ci symbolise la fécondité en rapport avec la grossesse et la maternité comme le souligne son sexe apparent. Mais n'est-elle pas une génitrice ayant perdu toute trace d'identité personnelle au regard de cette fonction ?.

Nous sommes devant une vision acide et caricaturale de la relation homme femme au XXIéme siècle. Une inversion des rôles archaïques du mariage qui prend la forme de femmes très décidées qui dévorent littéralement leurs maris, ces derniers étant assimilés à un tas de machos apeurés se planquant derrière les oeillères de leurs certitudes. On s'attache assez rapidement aux héros, dont les exactions sont justifié par leur histoire respective. Les sorcières de Zugarramurdi n'est pas le film misogyne d'écrit par certain(e)s, dans la seconde partie Àlex de la Iglesia à l'intelligence de décrire les femmes comme "une secte", vivant en communauté  et restant toujours solidaire les unes des autres. Contrairement à nous les hommes qui sommes prêt à nous mettre des bâtons dans les roues pour, par exemple, pouvoir coucher avec une ravissante demoiselle.

Nous retrouvons également le coup de pied habituel du cinéaste sur la situation économique en Espagne et en Europe. Nos pieds-nickelés chômeurs braquent une boutique de rachat d'or en volant des alliances en or - Autre symbolique importante du film.

Hommage ou clin d'oeil à Evil Dead ?!

Les sorcières de Zagarramurdi s'ouvre sur un braquage suivie d'une course poursuite avec la police. Le spectateur est immédiatement plongé dans le long-métrage. Alliant parfaitement rythme effréné avec quelques touches d'humour, cette première demi-heure est un modèle de montage, à la fois "cut" mais toujours lisible.

Près de deux heures séparent le premier acte, avec ce Jésus argenté fort en burnes effectuant son hold-up, du dernier, qui voit une farandole de vilaines bonnes femmes énervées qui volent et rampent aux murs à la manière d'un Tsui Hark. Le réalisateur nous offre l'ultime bride d'une créativité sans borne. À l'image de Balada Triste de Tompeta, le film se termine sur un climax frôlant le grand guignolesque, un final démesuré dont Àlex de la Iglesia à le secret.

Coté interpretation, Hugo Silva, Mario Casas & Pepon Nieto s'en sortent bien dans les rôles principaux. Pour les comédiennes, on retiendra la prestation de Carmen Maura qui s'en donne à coeur-joie en maitresse de cérémonie, et la sublime muse du cinéaste Carolina Bang (Balada Triste de Tompeta) en élément perturbateur se laissant guider par l'amour. A noter la participation de sa fidèle troupe : Javier Botet (Un jour de Chance) en fils séquestré, Enrique Villen (Le crime Farpait) en vieux fou sénile et surtout Carlos Areces (Balada Triste de Tompeta) & Santiago Segura (Action Mutante, Le jour de la bête) en duo de sorcières extravagantes.


Comédie horrifique et véritable O.F.N.I (Objet Fou Non Identifié) jouissifs. Àlex de la Iglesia, nous livre encore une oeuvre dans la ligne directe de sa filmographie, ou presque, en se renouvelant sans cesse. le réalisateur confirme avec Les sorcières de Zugarramurdi qu'il aime son métier en entretenant ses nombreuses références, et surtout il s'amuse comme un vrai gamin. Divertir, crée, aller au bout de ses idées, semble son crédo… Ce genre de leitmotiv, ça me parle. Beaucoup même !

Affiche Espagnole.

1 commentaire:

  1. Enfin vu ce soir et je te rejoint complètement là-dessus : la première idée qui saute à l'esprit, c'est celle d'une satire aussi bien du féminisme que du mouvement MRM; plus largement, une sorte de constat (peut-être versant un petit trop sensiblement dans l'auto-apitoiement) de la destruction du statut de l'individu mâle au sein de nos sociétés occidentales modernes. Pas une manière inintéressante de revisiter une histoire de sorcières !

    Pour le reste, en effet c'est à un divertissement de bonne tenue que l'on a affaire, où nos pied-nikelés en cavale, initialement poursuivis par les forces de l'ordre, se retrouvent poursuivis par les sorcières sans même que la transition se fasse sentir... d'éléments perturbateurs et nuisibles à la société, ils se retrouvent projetés dans un rôle de représentants de l'ancien ordre mâle en butte au Matriarcat - ou bien je surinterprète ce qui est avant tout une comédie faisant la part-belle à des course-poursuites de cartoon ? :D

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