mercredi 23 juillet 2014

Yakuza Eiga, une histoire du cinéma yakuza (2008)

Lady Yakuza, la pivoine rouge.
En Février 2009, Arte diffuse et produit un documentaire sur le Yakusa Eigagenre cinématographique particulier, s'intéressant aux membres du crime organisé Japonais, et à l'instar du chambara à travers leurs vies, à la société dans laquelle ils évoluent. Ces films ont connu leurs pics de popularités dans les années 1960 à 1970, avant de subir un relatif déclin dû à la crise de l'industrie… Ainsi le cinéaste Yves Montmayeur nous offre une plongée dans ce cinéma d'exploitation des années 60 à nos jours.

"Yakusha" signifie acteur en Japonais, alors que les "Yakuza", sont la représentation du milieu criminel sur l'archipel… Une lettre sépare pourtant ces deux termes. Car le cinéma Nippon a toujours été proche du milieu mafieux. Quand l'industrie cinématographique Japonaise est née la pègre a été la première à investir énormément d'argent dedans. C'est grâce à eux que le cinéma a démarré au Japon, ce qui explique donc ces liens solides.

Dans les années soixante, un studio sort son épingle du jeu. Il s'agit de Tôei Company, qui produits de nombreux films appelés Ninkyo Eiga (Film de chevalerie). Des longs-métrages, se déroulant majoritairement dans la période entre la fin de la féodalité et de la seconde guerre mondiale. Les héros et héroïnes, souvent affiliés au monde de la pègre, défendent alors la veuve et l'orphelin avec un véritable esprit chevaleresque. Nous sommes assez éloignés des longs-métrages de l'époque contemporaine de Kinji Fukasaku. Dans les rôles titres on retrouvaient les célèbres comédiens et comédiennes du studio, Ken Takakura, Kôji Tsuruta & Junko Fuji. Leurs personnages étaient généralement un(e) honorable hors-la-loi déchiré(e) entre ses valeurs : Son devoir et ses sentiments personnels.

Brutal Tales of Chivalry avec Ken Takakura & Ryo Ikebe.

Combat sans code d'honneur.
À la fin des années 60, les Ninkyo Eiga (Film de chevalerie) décline à cause de l'usure du genre et de l'arrivée de la télévision dans les foyers. Grâce à l'avènement de la petite lucarne, les années 70 et le cinéma sont pour beaucoup de cinéaste du monde entier un magnifique espace de liberté et le Japon, n'échappe pas à cette règle.

Avec le gendaigeki (Théâtre contemporain), Yakuza (893) gurrentai de Sadao Nakajima & Guerre des Gangs à Okinawa, de Kinji Fukasaku, grâce à l'impulsion du directeur du studio de l'époque Shigeru Okada, les cinéastes et scénaristes revitalisent les Yakuzas Eigas en voies d'épuisements. Les cinéastes abordent d'une autre manière ces films, en les dépoussiérant et en les rendant plus réaliste avec une vision documentariste, car la plupart du temps les histoires sont basées sur des faits réels : "Jitsuroku Eiga" (Vrai document). Ces longs-métrages satisfont les dirigeants de Tôei Company, dont le producteur Kôji Shundo, qui s'il n'apprécie guère la personnalité de Kinji Fukasaku, reconnait sans peine son talent.

Ce nouveau genre devient assez populaire auprès du public surtout à partir de 1973, grâce à Combat sans code d'honneur : Hiroshima terre de vengeance. Ce film dépeint l'après-guerre du milieu mafieux, l'intrigue se base sur les articles du journaliste Kôichi Iiboshi, ce dernier a réécrit les manuscrits d'un véritable yakuza incarcéré en prison, Kôzô Mino. Ces gangsters deviennent alors aux yeux du spectateur d'impitoyables voyous, le cinéaste et son scénariste Kazuo Kasahara ne les décrivent pas comme les héritiers du code des samouraïs contrairement aux Ninkyo Eiga  (Film de chevalerie), ici tous les coups sont permis, pour pouvoir accomplir son ambition personnelle. Le succès est tel qu'il donne naissance à quatre suites, et son interprète principal Bunta Sagawara est propulsé au rang de célébrité sur l'archipel.

Depuis d'autres cinéastes reconnus comme Takashi Miike ce sont ré-appropriés le genre sans toutefois véritablement lancer de nouvelle dynamique, même si l'essor du DVD et des différentes rétrospectives ont permis aux Yakuzas Eigas d'être découvert par un plus grand nombre de spectateurs étrangers.

Okita, le pourfendeur

Guerre des gangs à Okinawa.
Le documentaire d'Yves Montmayeur n'est pas une simple et bête rétrospective du Yakuza Eiga, non le documentariste s'entretient avec des artisans de Tôei Company : Des cinéastes, des producteurs et des comédiens… Leurs interviews sont remplies d'anecdotes intéressantes, surtout lorsqu'il évoque les liens du mythique studio avec le milieu de la pègre Nippone.

Tôei Company est certainement l'une des plus grosse société de l'industrie au Japon - au même titre que Tôhô. L'entreprise possédait plus de deux cent salles à travers tout le pays, et un studio de tournage pendant l'âge d'or. Elle produit plus de cent films par an lors de cette période glorieuse, en se spécialisant surtout sur des longs-métrages en costume de mauvais genre, à l'aspect comique, du cinéma de pur divertissement…

Pour les films de yakuza, tout commence en 1964, avec le Ninkyo Eiga (Film de chevalerieNihon kyokaku-den avec Ken Takakura dans le rôle principal, grâce à l'impulsion d'un éminent producteur, Kôji Shundo, le studio développe de plus en plus ce genre autour du milieu de la pègre. Comme le révèle l'ancien producteur de Tôei Company - ex-président de la branche animation -, Tan Takaiwa (Les évadés de l'espace) sur de nombreux tournages au sein du studio, de vrais yakuzas furent embauchés comme figurant (voir parfois des centaines de voyous pour des concours de tatouage), en temps que consultant. Du coup le résultat à l'écran était très réaliste dans les films. Et même un chef de clan recherché par la police est apparu dans l'une des productions de la compagnie. Encore plus étonnant, Fumio Konami, scénariste de La femme scorpion, avoue qu'avec l'appui de Kôji Shundo et de celui des dirigeants de la firme, des cinéastes (dont lui) ont pu rencontrer des chefs de clan assez haut placé dans des restaurants, afin de leur poser des questions… Ce grand producteur cinéphile était d'ailleurs réputé pour avoir un pied dans la mafia Nippone, l'homme initia des comédiens (dont Bunta Sugawara), réalisateurs et les équipes du studio aux règles et au loi de l'univers yakuza.

Logo de Tôei Company.

Dans les années 60 à 70, le succès et la réputation des films studio Tôei étaient dus  grâce à ces "films pour voyous" comme les qualifiés le responsable du studio de Kyoto, Shigeru Okada - Avant de devenir le grand patron de l'entrepriseLa société a donc gagnée de l'argent en idéalisant ces fameux yakuzas et a ensuite fait des bénéfices en détruisant leur images, la plupart de ces longs-métrages n'allaient pas à l'encontre des bonnes moeurs et ne décrivaient pas les aspects les plus glorieux et noble de la société Japonaise, comme la police qui n'appréciait pas de voir des connivences avec la mafia dans certains films…

Hokuriku proxy war de Kinji Fukasaku.
Le code d'honneur de la pègre Nippone est également évoqué par Sonny Chiba, le célèbre acteur avoue aimer l'esprit des yakuzas à l'ancienne, car ces derniers sauvent les  honnêtes gens, devenant ainsi les héritiers de l'esprit samouraïs. Le comédien revient brièvement au début de sa carrière avec Kinji Fukasaku, le cinéaste lui a mit le pied à l'étrier en 1961 avec la série Détective vagabond, mais il aborde surtout Qui sera le Boss à Hiroshima, second volet de Combat sans code d'honneur. Ainsi grâce à ce long-métrage il évoque la génération mafieuse des années 70 à aujourd'hui, qui ne respecte pas la population, car ne vivant finalement que pour leurs ambitions personnelles.

Affiche Française de Qui sera le boss à Hiroshima
- Combat sans code d'honneur 2 -

Kinji Fukasaku justement. Lors de son bref entretient, le cinéaste revient brièvement sur sa jeunesse pendant l'après-guerre lorsqu'il fréquentait le marché noir. La première fois ou le réalisateur a rencontré des yakuzas, c'est à l'époque de ses quinze ans, le jeune garçon ayant abandonné très tôt l'école. Les membres de la pègre lui ont alors offert du saké et donné de quoi manger. Cela l'a beaucoup touché et pour cela il leur est toujours redevable.

Le réalisateur a commencé à faire des Yakuzas Eigas à la fin des années 60, le Japon commençait tout doucement à se relever de sa défaite de la seconde guerre mondiale et du chaos qui s'en est suivit. Au début de cette décennie, le pays c'est engagé alors dans la croissance économique, certaines personnes ce sont alors retrouvées sur le bord du chemin, l'exemple le plus flagrant est les Yakuza, vivant comme des marginaux de la société.

L'écrivain Anglais David Peace revient sur l'après-guerre sur l'archipel et l'occupation Américaine. Pour survivre la population étaient obligées d'aller au marché noir contrôlé par les yakuzas. Toutes les classes sociales se retrouvaient donc là bas pour travailler ou vendre leur bien afin d'acheter de quoi subsister. Les habitants ne ressentaient moins de rancoeur que de rancune de la part de la mafia locale car ces derniers leurs procuraient ce dont ils avaient besoin pour vivre.

Le romancier revient sur les longs-métrages de Kinji Fukasaku. Pour lui, le génie du cinéaste (et de ses scénaristes) est d'avoir su créer des personnages rejoignant le milieu mafieux. Quant on regarde ces films sous cet angle, le spectateur a un véritable aperçu historique du Japon d'après-guerre mais ces récits mettent aussi en scène le combat d'individu contre la société.

Quartier violent d'Hideo Gosha avec Noburo Andô.
Lady Yakuza, la règle du jeu. 

Des anciens yakuzas deviennent même acteurs à l'instar de Noburo Ando et de sa célèbre cicatrice. Le comédien est un ancien kamikaze démobilisé de l'armée impériale, après être rentré le jeune garçon n'avait rien d'autre à faire que de trainer, dans un Japon ravagé par la guerre. Alors il s'est retrouvé avec ses anciens amis d'université un peu voyou, et ainsi ils se sont implantés dans le quartier de Shibuya. Devenu chef du clan Ando, lui et ses hommes représentent des yakuzas d'un genre nouveau, car réputés incontrôlables et assez mal vu du milieu de la pègre.

Un jour, Noburo Andô a été mêlé au meurtre d'un financier, l'homme défraye la chronique et passe six années derrières les barreaux. Une fois libéré, l'ancien "chef de famille" dissous son clan en le rendant public devant les caméras du monde entier, une première dans le milieu yakuza. C'est alors que cet ex-mafieux écrit un livre sur sa vie… Un réalisateur, Sadao Nakajima, le contact pour l'adapter sur grand écran. En 1965 sa biographie sort au cinéma sous le nom Blood and rules avec l'ancien voyou pour en premier rôle, le film eu un succès phénoménale. S'ennuyant un peu à la société de production Shochiku, le patron de Tôei Company le débauche pour tourner dans son studio. Au total l'Alain Delon Japonais tourne dans plus de trente six longs-métrages, dont Quartier violent d'Hideo Gosha ou encore Guerre des gangs à Okinawa, Le cimetière de la morale et Okita le pourfendeur de Kinji Fukasaku.

Le cimetière de la morale
Police contre syndicat du crime.

l'époque des mouvements anti-traité Nippo-Américain de nombreux étudiants se réfugient lors des séances nocturnes des Yakuzas Eigas de Tôei Company pour se préparer aux manifestations du lendemain. Ces films leur donnent ainsi du courage et de la motivation, et dans une certaine mesure font échos à leurs idéaux. 

Pourquoi parler de ces évènements ?! La renégociation du traité Nippo-Américain en est la cause, en 1960, une immense protestation avec des affrontements violent qui feront un mort, amène le premier ministre à démissionner non sans avoir ratifié la convention. Quant à la deuxième phase du mouvement étudiant, celle-ci se déroule en 1965, avec l'occupation des facultés, contre l'augmentation des frais de scolarisés  Un des leaders de ses manifestations est la Zengakuren, abréviation : Zen Nihon Gakusei Jichikai Sôrengô - Fédération des associations étudiantes autogérées. Le mouvement a été créée en 1948 mais s’est rapidement faite absorbée par le Parti communiste japonaisCes révoltes se finissent en 1969. 

Le public des Yakuzas Eigas n'était pas familiale, ni féminin sauf les prostitués. Les femmes ordinaires ne s'approchaient pas des salles qui projetaient les films de Tôei Company. La majorité des spectateurs était uniquement constitué d'homme - et de voyous. Mais les pontes du studio (dont Gorô Kusakabe) réussissent a renouveler une nouvelle fois le genre avec la saga Femme de Yakuza ainsi le héros est remplacé par une héroïne. A partir de là, le public féminin a considérablement augmentée jusqu'à dépasser le public masculin, le succès est certainement dû à l'écriture de Migiwa Awatsu, véritable dame de fer qui s'occupe des affaires de son mari alors en prison. Ces films offrent ainsi une vision de l'émancipation de la femme dans la société Japonaise.

La loi anti-gang en 1992 a servi au gouvernement Japonais de donner un grand coup de balai à travers le pays au sein des différentes organisations criminelles. Le cinéma sera l'une des victimes malheureuses de l'affaire, notamment lors de l'agression par trois malfaiteurs du cinéaste Juzo Itami une semaine après la sortie de son film Minbo no onna. Son long-métrage sur la société contemporaine caricature et se moque des yakuzas, notamment en démontant leur images de "sauveur des honnêtes gens", au contraire le réalisateur les dépeins comme des voyous qui exploitent et terrifient les plus démunis.

Femme de Yakusa.
Mes seuls regrets sur ce documentaire, Yakuza Eiga, une histoire du cinéma yakuza, sont la non présence de Takeshi Kitano, héritier légitime de son mentor Kinji Fukasakuou encore la non évocation de cinéastes comme Seijun Suzuki ou Hideo Gosha. Je trouve la place accordée à Tôei Company trop importante, j'aurais aimé découvrir d'autres studios et sociétés de cinéma comme Nikkatsu ou Shochiku par exemple. Bon je pinaille un peu, certainement dû à mon coté cinéphile, avec cette soif de savoir constante. 

Car Yves Montmayeur nous offre un excellent documentaire sur les Yakuzas Eigas en nous plongeant dans ce genre particulier entre l'après-guerre à nos jours. Les entretiens sont remplies d'anecdotes intéressantes et incroyables par exemple : Le producteur Koji Shundo et ses liens avec le milieu de la pègre. Si vous avez l'occasion de (re)voir, lors d'une rediffusion n'hésitez pas, ce genre de programme sur le cinéma Nippon à la télévision Française est assez rare - hors bonus DVD. Une véritable pépite pour tous les amateurs de cinéma asiatique.

Wandering Ginza Butterfly avec Meiko Kaji.

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