dimanche 20 juillet 2014

Outrage (2010)

Après Aniki mon frère, dix années se sont écoulées sans aucun yakuza dans le cinéma de Takeshi KitanoOutrage marque donc son grand retour au Yakuza Eiga. Après une trilogie introspective composée de Takeshi's, Glory to the Filmaker & Achille et la tortue qui constituait une sorte de thérapie de luxe salutaire pour son cinéaste. Le retour à la violence tant attendu par ses fans est enfin là.

Un yakuza du nom d'Ikemoto se fait reprocher par son supérieur hiérarchique ses liens "fraternels" avec un autre chef de clan. Il décide donc de simuler une brouille avec ce dernier, mais les choses au fur et à mesure s'enveniment, au point de provoquer un jeu de massacre entre chaque partie…

Takeshi Kitano, ne se répète pas : Aucune place pour ses apartés poétique ici, ni pour les jeux enfantins, qui constituaient la moelle épinière de son style, ce qui risque de laisser plusieurs anciens amateurs du cinéaste sur le carreau. Outrage est un hommage à son maître, Kinji Fukasaku, une façon de reprendre les choses là où le réalisateur du Cimetière de la morale et de la saga Combat sans code d'honneur, les avait laissées. A savoir, offrir une lecture contemporaine de la criminalité organisée Japonaise en ce début de vingt et unième siècle, marqué par la mort de certaines valeurs, quand l'intérêt personnel l'emporte sur ceux du clan. Le rire d'Otomo, personnage interprété par Takeshi Kitano lui-même, lorsqu'un yakuza refuse de se couper un doigt avec un cutter, est ainsi symptomatique car ces hommes ne sont plus que des caricatures, les fruits d'une égoïsme galopant.

Ainsi en dépit du nouveau contexte d'expansion sur l'archipel, - Des casinos s'installent dans les ambassades - rien n'a réellement changé en soixante ans dans cet univers purement Japonais. La fraternité et le code d'honneur n'ont toujours aucune valeur, voir sont totalement démystifié, ou se couper une phalange n'a plus aucune signification. Une pure farce qui justifie un jeu d'intérêt personnel mené d'une main de maître par le cynique "chef de famille" retournant les uns contre les autres ses hommes, tout en s'accaparant leurs gains. Takeshi Kitano filme parfaitement cette spirale de violence crue et sans concession avec des règlements de compte sanguinaire - du jamais vu chez du cinéaste. Des règlements de comptes devenant ainsi presque répétitifs mais jamais lassant et il en ressort un humour noir, absurde cinglant et dépressif. Dans ce jeu du pouvoir, aucune  place n'est définitive, les faibles d'hier peuvent devenir les puissants de demain, laissant derrière eux un goût de condamnation sans appel…

Car dans Outrage, il n'est plus question de savoir qui est véritablement "le patron", chacun est maître de son propre chef malgré les apparences et les courbettes hypocrites, il est question de tuer ou de se faire tuer.

Le réalisateur, offre un exercice de style tendu, où aucun des personnages n'existent réellement, presque tous sont fantomatiques à la durée de vie précaire et interchangeable, dans un décorum Japonais urbain en papier glacé, froid, avec la violence et l'intimation comme seule possibilité de communiquer et de se faire comprendre du reste du monde. Le pouvoir à envahit les mœurs, le goût de l'argent remplace la volonté de l'ordre et de la morale, tout ce petit milieu vit reclus dans un monde qui s'apparente à un cercle vicieux à la boucle infinie. Dans ce portrait acide au vitriol dans cet univers masculinisé à outrance, d'hommes habillés en noirs aux mâchoires serrées, aux coups de sangs impulsifs, roulant dans de grosses berlines et qui ne font que deux choses : S'insulter pour dominer et tuer pour régner.

Quant au clan Otomo - Celui de Takeshi Kitano -, il est le seul à réellement respecter le code d'honneur, et le spectateur ressent une véritable fraternité entre ses différents membres, enfin sauf l'un d'entre eux, puisqu'il subtilise de l'argent dans le dos de son patron.

La corruption policière est également présente dans la société Japonaise du vingt-et-unième siècle. Avec cet inspecteur à la botte de l'organisation mafieuse, récoltant à la fois des informations sur les enjeux mais aussi des enveloppes remplies de yens, pour amortir sa future retraite dorée. A la fin d'Outrage, il présentera même "son successeur" à son poste au nouveau parrain local, consacrant ainsi l'avènement d'une nouvelle génération, immorale avant tout Takeshi Kitano montre au spectateur qu'une nouvelle fois que rien n'a réellement changé depuis l'époque de Police contre syndicat du crime, rappelant l'importance des liens entre yakuzas et force de l'ordre. Même si un film comme Confessions of a dog de Gen Takahashi relate ses relations tendancieuses avec d'avantage d'acuité.       

Oubliez ici, les séquences poétiques et oniriques, la réalisation d'Outrage est moins contemplative que d'habitude chez Takeshi Kitano. Sa mise-en-scène est brutale avec ce sentiment d'urgence permanent, dans un entretien le cinéaste avoue se rapprocher "d'une violence graphique et d'un montage énergique proche des mangas", Pari réussi ?! Le réalisateur varie donc les différents meurtres en délaissant son habituel hors-champs, ici "Beat" Takeshi montre tout, en tombant même dans l'outrance, avec ces corps criblés de balles à la mitraillette, la pendaison par voiture - Du jamais vu pour ma part -, la séance chez le dentiste ou encore le coup de la langue - Qui doit bien faire mal…  Bien sûr nous avons droit à une réalisation solide, normal vu le bonhomme derrière la caméra, avec de magnifiques travellings (Vers la fin avec la route près de la mer, où une berline récupère deux tueurs), des plans cadrés à la perfection (Otomo venant de tuer son chef, et la caméra cadre la fumée qui monte du corps)… Le long-métrage bénéficie également d'un véritable travail sur l'éclairage et d'un splendide CinémaScope.

Affiche Américaine.

A la distribution nous avons un "Beat" Takeshi monolithique comme à son habitude. Pour les autres acteurs, nous sommes surpris de ne pas retrouver les têtes habituelles du cinéaste, nous avons donc à ses côtés des comédiens confirmés comme Jun Kunimura (Ichi the Killer, Kill Bill Volume 1 Le vent se lève), Kippei Shiina (Shinjuku triad society, Sakuran & Shinobi), ou encore Tomokazu Miura (Arriety, le petit monde des chapardeurs & My back page)… Tout le casting s'en sort relativement bien. On retiendra tout de même la charmante Eihi Shiina, comédienne que l'on retrouve dans Tôkyô Gore Police ou Vampire girl Vs Frankenstein girl

Suite au conflit artistique entre le mélomane et le cinéaste, lors de la production de Dolls, nous ne retrouvons pas sur OutrageJoe Hisaichi compositeur attitré alors de Takeshi Kitano. Keiichi Suzuki le remplace donc, ce dernier s'en sort assez bien, même si nous regrettons l'absence de son emblématique confrère.


Takeshi Kitano nous offre un Yakuza Eiga avec une intrigue peu originale en soi, à la forme conventionnelle mais son efficacité constitue une sorte de chaînon manquant à la saga Combat sans code d'honneur de son mentor, Kinji Fukasaku. Le cinéaste nous livre un constat sans appel, non sans cynisme tournant parfois à la farce sur une criminalité Nippone inchangée depuis plusieurs générations. Certainement l'un de ses films les plus accessibles pour le public néophyte de l'oeuvre de ce grand réalisateur Japonais…

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