lundi 14 juillet 2014

Guerre des gangs à Okinawa (1971)


Après avoir co-réalisé avec Richard Fleischer & Toshio Masuda le film de commande, Tora! Tora! Tora! traitant de l'attaque Japonaise sur Pearl Habor lors de la seconde guerre mondiale. Kinji Fukasaku réinvente les codes du Yakuza EigaAvec Guerre des gangs à Okinawa. Il reprend les choses en main, là ou les comédiens Ken TakakuraJunko Fuji les avaient laissés dans les années 60 avec leurs héroïques Ninkyo Eiga - Film de Chevalerie. Le cinéaste proposera film après film une nouvelle alternative solide à ce genre, en effet le metteur-en-scène revitalisera ces long-métrages en voies d'épuisements et sa saga Combat sans code d'honneur, sera l'une des pierres angulaires des Yakuza Eiga des années 70. Kinji Fukasaku aborde donc d'une autre manière les films de Yakuza, en les dépoussiérant conformément à ses ambitions. Ses long-métrages sont susceptibles de satisfaire les dirigeants de Tôei Company dont le producteur Koji Shundo qui, s'ils n'apprécient guère sa personnalité, reconnaissent sans peine son talent. 

Gunji Sadao, oyabun - chef - du clan Hamamura sort de prison après dix ans de détention causé par ses rivaux du clan Daito, ces derniers dirigent désormais la ville de Yokohama. Avec Ozaki son ancien bras droit et Samejima, seuls rescapés de sa bande. L'homme décide de quitter la métropole et de monter un nouveau business sur l'ile d'Okinawa mais pour cela il doit affronter les yakuzas déjà en place… 

Véritablement nihiliste, Guerre des gangs à Okinawa, permet à Kinji Fukasaku d'approfondir des thèmes qui le touchent : L'amitié, le respect mais aussi la désillusion face à l'évolution du Japon et d'un certain fatalisme. En basant son histoire sur l'île lointaine d'Okinawa, bout de terre isolé du reste de l'archipel qui est gangrenée par l'occupation Américaine et la criminalité, le cinéaste montre un endroit ou certaines valeurs du monde criminel n'ont pas été bousculée par un affairisme dévorant comme dans les grandes villes du Kantô - Tôkyô, Yokohama - et du Kansai - Ôsaka. Une tonalité crépusculaire émerge dans le film, dans cette ville de Naha où l'ancien et le moderne se livrent une bataille constante, sans oublier la défaite Japonaise d'après-guerre encore toute fraîche dans les mentalités.

Un endroit vierge donc de tout capitalisme, car le récit se passe pendant la période de rétrocession des Américains de l'île d'Okinawa. Les États-Unis l'ont rendu au Japonais en 1972, jusqu'alors elle fut sous leur administration suite de sa capture lors de "la bataille d'Okinawa". Aujourd'hui, Il reste encore de nombreuses bases, avec des aéroports.

Bénéficiant d'un scénario solide relativement classique allant surtout à l'essentiel, et d'une intrigue reprenant la trame des polars Américains de l'époque. La force de Guerre des gangs à Okinawa réside avant tout, dans cette atmosphère mélancolique et nostalgique, soulignés par la musique de Tsuneo Yamashita à la tonalité Jazzy représentant l'état d'âme de ces yakuzas de la vieille école. Ces derniers ont tout perdu à la suite, à la modernité, terriblement attachés à leurs anciennes valeurs, alors qu'il est préférable aujourd'hui de s'écraser devant les plus forts ou de se ranger vers des affaires plus respectables. Gunji Sadao et ses hommes s'imposent grâce à leurs crans, leurs volontés et par leurs honneurs, c'est ainsi qu'ils livrent une guerre psychologique sans merci contre ce nouveau modèle du crime gouverné par des caïds qui ont échangé ces règles avec ce système capitaliste, en faisant des alliances d'intérêts et parfois d'honneur avec les vaincus.


Guerre des gangs à Okinawa se divise en trois actes :

Notre histoire :  Après dix longues années passé sous les barreaux, Gunji se rend compte aujourd'hui, la vie à Yokohama a bien changé, les docks qu'il contrôlait jadis sont devenus méconnaissables, tant la modernité c'est accentuée. Les règles du jeux ont changé ce n'est plus le chaos d'après-guerre qui règne dans les rues de la métropole, désormais le Japon est rentré dans l'ère de la corruption et des ententes politicienne. Cet ancien yakuza déchu qui a tout perdu, son clan et la femme qui l'aimait est partie. l'oyabun demande alors un dédommagement de cinq millions de yens au chef du clan Oba pour la guerre qu'il a lui même déclencher. Une fois, la somme récupérée "sa famille" - Je rappel que les yakuzas s'organisent "en famille" - et lui s'expatrient sur l'île d'Okinawa.

Notre arrivée à Okinawa : Archipel à l'écart du Japon à cause de son administration Américaine, Okinawa est donc vierge de toute tentative financière des yakuzas de la métropole. Les G.I toujours présent ont largement imprégnés leurs cultures sur l'île (Comme à chaque fois), on y trouve d'ailleurs bon nombre de trafics, notamment l'alcool - le Whisky - contrôlés par les yankees. C'est pourquoi Gunji Sadao et ses hommes s'y envolent en espérant retrouver les repères d'un passé perdu à Yokohama et ainsi peut-être se faire une nouvelle place au soleil. Les clans dominants et leurs contrôles stratégiques dans la ville de Naha, rappel l'âge d'or de l'époque d'après-guerre, progressivement l'ancien chef déchu arrive à s'imposer grâce à un culot monstre, lui et sa bande entame une ascension fulgurante contrôlant ainsi certains lieux et business importants. Car Gunji a compris que le chantage fait partie des nouvelles règles en vigueur… Mais ils devront affronter un terrible manchot, un yakuza patibulaire et puissant, mais même devant cette situation désespérée, ils feront preuve de ténacité et d'un cran inouï.

Notre vengeance :  Le clan Oba, grand rival de Gunji Sadao arrive sur l'île d'Okinawa, afin de faire affaire pendant sa rétrocession avec la famille Haderuma responsable du port car les docks sont une véritable mine d'or à exploiter. Le titre de cet acte, sonne bien évident le glas pour ces yakuzas fiers et désinvoltes, même si on ne peut s'empêcher d'espérer un dénouement favorable. Kinji Fukasaku réussi à rendre cette empathie envers ce petit groupe d'homme - grâce à leurs amitiés et leurs allégeances - les différents membres se sentent libres, alors que la plupart sont réduits à un banal quotidien, voir misérable. Bien conscient d'avoir perdu dans un monde impitoyable, ou ils n'ont plus leur place, ces hommes ne reculeront pas lors de leur dernier baroud d'honneur, pour d'obtenir leur vengeance.

Étrangement la réalisation de Kinji Fukasaku reste assez sage, surtout lorsque l'on connait le cinéaste. Ses plans sont souvent inspirés avec ces fameux cadrages penchés, des arrêts sur images et des combats chaotiques mais sans jamais perturber le point de vue que se construit le spectateur. On retient particulièrement les plans récurrents du genre : Suivant le gang, ces hommes marchent dans la rue, soulignant ainsi élégamment l'aspect vain et désespéré du chemin qu'ils se sont tracés. Dès les premières minutes, lorsque le héros sort de prison, une atmosphère pesante et mortifière s'installe, elle ne nous quittera plus…

Quant à la camera embarquée, celle-ci insuffle une grosse énergie au film et quelques séquences sont assez tendues dignes d'un western par exemple, quant le yakuza manchot repère le tireur embusqué alors que ses hommes n'ont rien captés. Quant à la conclusion nihiliste, celle-ci est très proche d'un Sam Peckinpah, et laisse au spectateur une forte impression. La photographie est adapté au ton du film, comme le choix d'Okinawa pour toile de fond, qui permet de traiter l'américanisation du Japon, et des conséquences de la guerre dans l'archipel. A noter, la présentation des différents personnages préfigure les écrans fixes de Quentin Tarantino.

Avec un casting plus ou moins connu, on retrouve notamment Tomisaburô Wakayama - le fameux Ogami de Baby Cart -, Noboru Ando (Le cimetière de la morale) et sa fameuse cicatrice sur le visage et Koji Tsuruta - Le chef du groupe - ce dernier possède une véritable présence magnétique à l'écran. Et son interprétation tout en subtilité apporte une certaine mélancolie à ce héros charismatique, l'homme apparait plus que jamais fantomatique derrière ses épais verres fumés - Qu'il n'enlèvera pour ainsi dire que lors d'une jolie séquence avec un personnage féminin plus fouillé que d'habitude. 

Ces comédiens nous offrent une galerie de bonnes trognes patibulaires, incarnant parfaitement ces gangsters sur le fil, car finalement la plupart ne peuvent exister qu'en amenant du chaos dans un monde qui n'en est pas moins terrible. Ce sentiment est représenté par la relation entre Gunji Sadao et une prostitué, ce dernier préfère demeurer distant avec celle-ci plutôt que de répéter la douloureuse perte qu'il a subi avec sa femme… sa dernière parcelle d'espoir.


Guerre des gangs à Okinawa est l'un des Yakuza Eiga fondateur de son cinéaste, dont l'influence est notable sur d'autres auteurs, comme Quentin Tarantino pour Reservoir Dogs ou particulièrement Takeshi Kitano et son Sonatine. Un long-métrage nihiliste, mélancolique où l'on retrouve le désespoir de ces personnages pour une époque révolue et leur volonté la tête haute malgré leur épreuve passée. On pense aussi à Sam Peckinpah avec ces gangsters d'un autre temps face à une organisation moderne, froide et sans valeur qui incarne le capitalisme sans état d'âme. La fin (plus par son geste que sa représentation) évoque d'ailleurs La Horde Sauvage. Un excellent polar à (re)voir pour découvrir l'univers de son cinéaste : Kinji Fukasaku.

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