mardi 10 juin 2014

La Femme Scorpion (1972)


Véritable rencontre avec un genre particulier du cinéma, Women in Prison, rencontre avec une actrice… La Femme Scorpion est une découverte pour moi. Ce film d'exploitation culte nous remémore cette glorieuse décennie des 70's sur l'archipel Nippon.

La comédienne Meiko Kaji quitte l'antre de Nikkatsu Corporation au profit de Tôei Company Limited, la jeune femme évite ainsi d'être une égérie de "roman porno" surnommé "Pinkû Eiga", un genre devenu très lucratif chez son ancien studio. Un choix judicieux pour la suite de sa carrière car l'actrice va devenir une véritable icône au sein de sa nouvelle société. Cette entreprise saura parfaitement l'utiliser, en faisant ressortir sa présence magnétique et son charisme au cinéma, ainsi la comédienne enchaîne de nombreux succès comme La saga de La femme Scorpion ou Lady Snowblood.



Comme pour de nombreux longs-métrages d'exploitations Japonais des seventies - De Baby Cart, d'Hanzô The Razor, à Lady Snowblood en passant par Doberman Cop ou Golgo 13 : Assignment Kowloon. La Femme Scorpion est une adaptation de manga de Tôru Shinohara, pré-publié sous le nom de Sasori dans le Big-comics de Shogakukan au cours de l'année 1970.

Une jeune femme du nom de Matsu, surnommée Sasori, tombe amoureuse d'un policier. Mais après avoir été trahie par cet homme, elle se retrouve au sein de la prison Y après avoir tenté de l'assassiner. Dès lors, elle n'a plus qu'un seul but : S'évader pour assouvir sa vengeance…

Dés l'introduction de La Femme Scorpion, la mise en abîme est immédiate. Une cérémonie officielle remercie les gardiens de prison et son directeur pour avoir bien travaillé, à savoir mener ce pénitencier d'une poigne de fer, mais une prisonnière ruine rapidement leur moment de gloire. Nous sommes après les violentes révoltes de 1968, ce geste pas anodin représente la rébellion contre ce système de répression, le reflet de la société d'après-guerre sévissant au Japon, basée sur la hiérarchie des classes, le pouvoir de l'argent et la supériorité du sexe fort sur le sexe faible.

Affiche de cinéma, La Femme Scorpion dessinée par l'auteur du manga. 
Dès lors, Sasori est vite rattrapée par ses geôliers, les scènes suivantes enchaînent humiliations, lynchages, voyeurismes et tortures. Les gardiens abaissent cette femmes et ses congénères au rang d'esclaves, leurs donnant une image peu reluisante, cet endroit transforme ces occupantes en bêtes furieuses et sans morales.

La représentation carcérale est nihiliste, crue, violente évoquant la noirceur et le pessimiste du cinéma de Kinji Fukasaku - Le cimetière de la moraleLe système de répression est vraiment vicieux, ils ne provient pas uniquement que des geôliers, la faute d'une seule prisonnière entraîne tout le groupe vers la même punition, créant ainsi un phénomène de souffre-douleur. De plus, les tortionnaires jouissent de chacun des sévisses infligés, alternant ainsi entre déshabillage et coups tordus, rabaissant ainsi les femmes au maximum - La scène ou elles montent nues des escaliers pour qu'ils puissent regarder par en dessous, un acte purement gratuit. Quelques une d'entre-elles sont à la botte des hommes, d'une cruauté peut-être supérieure aux gardiens, elles se trouvent dans une situation intermédiaire entres victimes et bourreaux.

L'une des dernières scènes accentue la perversité de ce système carcérale, les geôliers deviennent à leur tour victime. 

Dans cette société uniquement basée sur la lutte des classes, il n'y a pas d'espoir. Une fois, hors des murs du pénitencier, Sasori s'en va accomplir sa vengeance avec son couteau - substitut phallique et lieu-commun du giallo - une réponse au bâton des matons, et donc le prolongement symbolique de sa vengeance contre les hommes. Mais la conclusion retombe dans ce nihilisme caractérisant ce long-métrage, en nous montrant que dans la société Japonaise, il n'y a pas de ligne de fuite pour les rebelles car ils finissent toujours derrière les barreaux. Ce film d'exploitation - un genre très misogyne - transforme donc ce matériau en défense paradoxale de la philosophie féministe. Mais au delà de sa dimension sociologique, il s'agit avant tout d'un spectacle populaire, un conte cruel et initiatique - surtout de la femme - en société.


La réussite de La Femme Scorpion repose essentiellement sur les talents de son cinéaste peu connu et de son interprète principale, aussi belle que charismatique.

Shun'ya Itô, s'impose comme disciple talentueux de Seijun Suzuki et de Teruo Ishii. Le cinéaste y met ses tripes, et marque la foule dès son premier film, en transcendant son récit avec sa réalisation d'orfèvre, un véritable coup de poing à l'inspiration ravageuse. De ses travellings aux mouvements de caméras fluides, très travaillés, La Femme Scorpion bénéficie de cadrages sublimes à la façon d'un Kinji Fukasaku, donnant un aspect picturale indéniable à cette oeuvre, comme lors de la perte de sa virginité, le sang de l'hymen forment le drapeau Japonais. Sans oublier l'utilisation de décors, parfois surréalistes, en moteur narratif et une maîtrise des jeux de lumière avec cette photographie évoluant tout le long - De la grisaille des cahots aux passages oniriques. Cette inventivité visuelle constante s'enchaîne sans temps mort avec des idées incroyables, rendant l'ensemble de La Femme Scorpion absolument jouissif à l'écran.


Le spectateur se retrouve donc devant des symboliques à l'image très fortes, des explosions de formes et de couleurs venant encore amplifier ces délicates séquences sans que jamais le style ne l'emporte sur la substance.


Ce talent explose dans une scène-clé, un flash-back révélant le passé de l'héroïne en expliquant ses motivations : On découvre ainsi que celle-ci est tombée amoureuse d'un policier et qu'elle lui a offert sa virginité. Cet événement est ici, présenté de manière hallucinée, tout est symbole. Mais l'homme s'est simplement servit d'elle, au point de la pousser entre les mains de Yakuza, la violant, pour le bien de sa carrière. Détruite dévastée, elle tente de l'assassiner et se retrouve ainsi en prison. Les personnages ne bougent pas, mais les décors évoluent autour d"eux, et la couleur change au rythme de l'évolution des sentiments éprouvés, notamment lors de la colère des femmes contre leurs oppresseurs, cette séquence digne du Vagabond de Tôkyô de Seijun Suzuki. 

Cette femme outragée, incarnée par Meiko Kaji. l'actrice possède la présence la plus hypnotisante, magnétique que le cinéma Nippon n'ait jamais connu. Son interprétation minimaliste et son inexpressivité, détermine son charisme. La froideur de son jeu, par le fait d'avoir été trahie par cet homme, a plongée son humanité en sommeil, la comédienne tranche ainsi avec le cabotinage constant des autres interprètes, qu'il s'agisse des gardiens vicieux, des prisonnières hystérique ou du policiers corrompus.

La chanson écrite par le réalisateur Shun'ya Itô et interprétée par nulle autre que celle qui porte littéralement ce long-métrage sur ses épaules. Quentin Tarantino ira jusqu'à reprendre cette magnifique ballade trente ans plus tard, pour accompagner Kill Bill - Volume 1. Comme les paroles l'évoque, Sasori est belle comme une rose, elle en possède aussi les épines et elle peut être redoutables pour ses ennemis.

Les excellentes musiques s'adaptent parfaitement à l'univers carcéral du long-métrage. Elles sont l'oeuvres du Ennio Morricone Japonais : Shunsuke Kikuchi, ce compositeur est connu pour ses nombreuses collaborations au sein de la maison Tôei Company et de sa branche animation, en signant les bandes originales notamment d'UFO Robot Grendizer / Goldorak ou encore Dragon Ball et sa suite.

Plan symbolique du long-métrage.


Véritable pamphlet contre la société japonaise machiste et corrompue. La Femme Scorpion est la rébellion sanglante de la philosophie féministe, cette héroïne bafouée se venge de l'ogre masculin, une icône et porte étendards de toutes les femmes opprimées contre leurs tortionnaires. 

Le long-métrage parvient également à satisfaire les exigences les plus basiques du spectateur de ce genre spécifique du cinéma d'exploitation, Women in Prison, avec cette violence graphique, ces jolies demoiselles dénudées… La mise-en-scène de Shun'ya Itô est stylisée, inventive. Cette oeuvre est au final un tout à la fois : Spectaculaire, violent, abritant derrière un plaisir primaire et des questions sociales.   
   

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